Dans le cadre de notre dossier Sport & Médias, nous avons rencontré le journaliste sportif et intervieweur polyglotte Nelson Monfort pour parler de la représentation du sport à la télévision, de l’arrivée des nouveaux sports aux JO, mais aussi de l’évolution des sportifs avec l’avènement des réseaux sociaux, qu’il préfère d’ailleurs appeler “fléaux sociaux”. Rencontre enjouée avec ce grand monsieur du sport français.
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Premièrement, les réseaux sociaux ont totalement transformé l’exercice du métier de sportif. Deuxièmement, les sportifs sont de moins en moins accessibles, et troisièmement leur susceptibilité s’est accentuée.
Nelson Monfort
Présentateur, commentateur, intervieweur, le monsieur sport de France Télévision est de tous les événements sportifs depuis qu’il a quitté ses études dans la finance dans les années 80 pour se lancer dans le journalisme. Né d’un père Américain et d’une mère Néerlandaise, sa faculté à parler cinq langues aura fait de lui un véritable couteau suisse sur tous les plus grands événements sportifs de la planète. Véritable porte-parole français des amateurs de sport, Nelson Monfort semble être né pour égayer les plus ennuyeux matchs ou compétitions que le monde du sport puisse nous offrir, avec sa joie de vivre communicative. Si son expertise est aujourd’hui incontestablement établie et reconnue, il continue cependant de surfer sans embûche sur une belle vague de popularité.
Aujourd’hui, qu’est ce qui fait la patte Nelson Monfort selon vous ?
Nelson Monfort : Une certaine empathie avec ce que je fais, et que les téléspectateurs me rendent bien. Je suis convaincu qu’on ne peut pas tromper le public au fil du temps. La chose la plus sympathique que l’on puisse me dire, c’est que je suis pareil à l’écran et hors antenne. Je pense aussi qu’on me reconnaît une certaine joie de vivre, un certain humour. Le sport à la télévision, c’est surtout fait pour passer des bons moments.
Y a-t-il des points communs entre tous les commentateurs sportifs ?
J’espère qu’il y en a deux. Il y a la compétence, ce qu’il y a de plus important, et puis l’enthousiasme. Mais la compétence sans enthousiasme ça ne va pas, et l’enthousiasme sans la compétence, ça va encore moins. Ces deux caractéristiques sont celles de la plupart de mes confrères. J’espère de tous.
Comment définiriez-vous l’humour de commentateur sportif ?
Ça fait partie intégrante du job. Je pense que la principale forme d’humour consiste à se moquer de soi-même. Les Anglo-Saxons en général sont très aptes à ça, à l’auto-dérision. Je crois vraiment l’avoir, dans la vie et à l’antenne. Se moquer des autres c’est assez facile, se moquer de soi-même c’est un peu plus difficile. Je trouve que c’est la plus belle forme d’humour.
Faites-vous plus attention aujourd’hui à ce que vous dites qu’il y a quelques années ?
Je ne fais pas attention sur l’instant, mais d’autres le font pour moi en aval si je puis dire. Je ne suis pas très réseaux sociaux, que j’appelle volontiers “fléaux sociaux”, même s’il y a aussi du bon. Je ne passe pas mes journées à lire ce qu’on dit sur moi, à partir de là je ne me sens pas prisonnier de paroles qui pourraient “déraper” comme on dit aujourd’hui. Mais je ne suis pas naïf, je sais très bien qu’aujourd’hui il faut se contrôler. N’ayant jamais été un provocateur dans l’âme, je ne ressens pas de pression particulière de ce point de vue.
Qu’est ce qui a changé dans la manière de parler de sport à la télé depuis que vous avez commencé ?
Techniquement ça a énormément évolué. Les caméras vont dans les vestiaires aujourd’hui, il y a une expression qui dit qu’on voit mieux à la télévision qu’en vrai. je suis bien obligé d’être d’accord, même si rien ne remplacera jamais l’ambiance dans un stade. Il suffit de voir les stades vides en ce moment pour s’en convaincre.
Que pensez-vous de l’augmentation du nombre de consultants sportifs sur les plateaux de télé ?
Je trouve qu’il y a beaucoup trop de consultants à la télévision. Trop de consultants tue le consultant. Quand je commente le patinage avec Philippe Candeloro, voire Annie Dumont comme experte, ils ne se marchent pas sur les pieds et c’est très bien ainsi. Quand vous avez des radios ou des télévisions qui vous annoncent des “dream team”, excusez déjà la modestie, où pour un événement de football ils sont onze, que pour le rugby ils sont quinze, et qu’il n’y a pas un seul journaliste sur la photo… C’est vrai que ça me choque. Quelle est la valeur ajoutée ? Y en a-t-il une ? Il y a beaucoup trop d’anciens sportifs à la télévision, on leur déroule le tapis rouge. Je suis fier d’appartenir à France Télévision qui n’est jamais rentré dans cette surenchère, nous avons plus de journalistes que de consultants. Je suis choqué que ce soit des sportifs qui fassent des interviews d’après-match. C’est aux journalistes de les faire. Comme c’est aux journalistes de commenter et de mener la danse, le consultant apporte son regard technique. Point final.
Y a-t-il des interviews qui vous ont particulièrement marqué ?
Dans le sport à la télévision, il faut avoir la modestie de dire qu’après coup il ne reste pas grand chose. Même si sur le coup c’est très fort d’avoir une star mondiale du sport, ça fait plaisir, mais après qu’en reste-t-il ? Pas grand chose. Relativiser tout ça me permet d’avancer.
Un perdant est-il plus intéressant à interviewer qu’un vainqueur ?
J’ai toujours essayé d’être un passeur d’émotions. Ça veut dire se réjouir de la victoire, et compatir à la défaite. Or, c’est beaucoup plus difficile de compatir à la défaite, de consoler même parfois des vaincus. Ça m’est arrivé à de très nombreuses reprises. Je sors un peu du rôle de journaliste, je suis assez proche des personnes que j’ai à mon micro. S’ils s’arrêtent, c’est déjà qu’ils sentent un regard. Une interview peut être ratée ou réussie avant même la première question. C’est une manière d’accueillir, de faire sentir à la personne qu’elle est la bienvenue. Effectivement c’est plus satisfaisant, c’est plus fort d’être aux côtés d’un vaincu que d’un vainqueur.
Avez-vous perçu une évolution dans le comportement des sportifs au fil des années ?
En effet, premièrement les réseaux sociaux ont totalement transformé l’exercice de ce métier. Deuxièmement, les sportifs sont de moins en moins accessibles, et troisièmement leur susceptibilité s’est accentuée. Il faut se pincer pour trouver de l’auto-dérision chez les sportifs. Il y a quelques exceptions bien sûr. Mais ce métier a évolué, pas forcément dans le bon sens.
En parlant de nouveauté, que pensez-vous de l’arrivée des nouveaux sports aux JO ?
Je ne suis pas nécessairement pour. Je trouve que la break dance n’a rien à faire aux JO et je ne suis pas non plus un grand fan de toutes ces médailles par équipe. En escrime il suffit de passer un tour pour être quasiment sûr d’être médaillé. En patinage on a inclus une compétition par équipe qui ne signifie pas grand-chose à mon avis. C’est une sorte de course à la médaille, une sorte de maladie, la “médaillite”. Je ne suis pas pour ça. Qu’on le veuille ou non, les JO c’est une certaine tradition liée à des événements, le 100 mètres, le 200 mètres, le 400 mètres, la natation, les relais etc. Ce sont des événements qui existent depuis plus de cent ans. En ski, qui est un sport que j’adore, je ne suis pas tellement pour le Super G, le combiné etc. Tout ça est un peu artificiel. Le ski pour moi c’est trois évènements : slalom, slalom spécial, slalom géant en descente. Mais tout le monde ne sera pas d’accord avec moi.
Vous qui êtes un amateur de musique et de littérature, pensez-vous qu’il serait intéressant de réintégrer des épreuves artistiques aux JO ?
J’adorerais. Mais je dois être l’un des derniers mohicans à prêcher dans le désert. Je suis réaliste, il ne faut jamais dire jamais, mais ça ne se fera pas. Je crois que les autorités olympiques ont plus de facilité à inclure l’escrime par équipe, sans faire d’obsession (rires), que par exemple les échecs. C’est un sport cérébral on peut dire. Je verrais très, très bien les échecs aux JO. Des épreuves artistiques de peinture, de littérature, composer un poème, un sonnet, etc. Mais dans quelle langue ? Il y a aussi des difficultés inhérentes à ça.
Peut-on oser vous demander ce que vous pensez des sports électroniques ?
Je pense que vous avez la réponse. Que ce soit très à la mode aujourd’hui et que le esport intéresse un certain public, je le conçois très bien. Mais je suis évidemment, entièrement, et intimement persuadé que c’est essentiellement commercial, plus que sportif. Je pense que les chiffres sont un peu gonflés, mais je respecte ceux qui s’y intéressent.
Que pensez-vous des formats sportifs qui évoluent, notamment sur le tennis où l’on parle de réduire le nombre de sets gagnants ?
J’en pense beaucoup de mal. Je sais très bien qu’on pense à faire revenir les tournois du grand chelem de tennis en deux sets gagnants. Quatre fois par an, il y a des matchs en trois sets gagnants, c’est ça qui fait la différence entre les quatre grands tournois et les autres, qui sont des très beaux tournois. Mais quatre fois par an, je pense qu’on peut laisser les matchs au meilleur des cinq manches. De toute manière, Nadal et Djokovic gagnent la plupart du temps leurs matchs en trois sets…
Vous regardez du sport à la télé ?
Je ne suis pas du genre à passer tout mon samedi à enchaîner quatre matchs de football du Championnat d’Angleterre, du basket, du handball etc. En revanche je suis assez sélectif sur mes évènements. Le ski est un sport qui m’intéresse depuis toujours. Les grandes courses de ski du mois de Janvier, Wengen, Kitzbühel, Val d’Isère etc. je m’arrange pour les suivre. Je sais quels évènements m’intéressent et j’y vais à fond.