La Norvège possède l’un des sports nationaux les plus cools au monde : le plongeon de la mort. Né dans le Oslo des 60’s et revenu au goût du jour ces dernières années grâce à une bande de pote motivés munis d’une connexion internet, le Døds fait aujourd’hui le tour du monde et ne compte plus le nombre de ses adeptes. Grand saut dans le petit monde du Døds.
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On appelle ça de la culture parce qu’en Norvège si on appelle ça du sport on ne peut pas picoler pendant qu’on le regarde
Paul Rigault
Le plongeon c’est bien, le saut de falaise c’est cool, mais le plongeon de la mort c’est encore mieux ! En Norvège on l’appelle le Døds – mort en norvégien – il s’agit d’une pratique aérienne assez particulière dans laquelle le sauteur n’atterrit pas dans l’eau à la verticale, comme toute personne normalement constituée tenterait de le faire, mais bien à l’horizontale. D’aucun pourrait l’appeler le plongeon-plat, ou encore le crêpe-jumping. Il n’en est en fait rien, car les Dødsers se recroquevillent en réalité au dernier moment afin de ne pas être défigurés ou éventrés vifs, amortissant le choc à la fois à l’aide des épaules, des genoux et des pieds. « Shoulders, Knees and Toes » comme diraient les Anglais.
À partir de cette idée d’atterrir dans l’eau de manière horizontale est né quelque chose de fantastiquement artistique et émotionnellement très fort, une pratique impliquant beaucoup d’adrénaline, nécessitant une bonne dose de style ainsi que de grandes ressources en terme de créativité. Rien à voir avec le déjà très impressionnant Red Bull Cliff Diving, il s’agit ici de véritables punks du plongeoir, des virtuoses de l’absurde en chute libre et sans parachute, évoluant dans une discipline où la seule règle est de retomber à plat ou presque.
Avec la médiatisation de ce sport déjanté et l’augmentation du nombre de pratiquants, de nombreuses figures sont donc apparues, des styles ont émergé, des sensibilités sont nées, un monde s’est créé, une communauté s’est éveillée. Dans le but de décortiquer cette folie aussi sportive qu’artistique, nous avons rencontré l’un des tauliers de la pratique, Paul Rigault. Ce Franco-Norvégien, co-fondateur de la Fédération Internationale de Dods, est en partie responsable du succès que rencontre aujourd’hui cette discipline célébrée au niveau international.
Comment avez-vous réussi à relancer le phénomène du Dods ?
Paul Rigault : Tout a recommencé pendant une après-fête, en fin de soirée. Pour revenir en arrière, le Døds a commencé dans les années 70 en Norvège, c’est devenu très populaire dans les années 80 et 90 à Oslo, mais dans les années 2000 on était la dernière génération qui faisait encore ça malheureusement. On se disait que ce serait dommage que le Døds s’arrête avec nous, comme plus personne n’en faisait à la fin. Après s’être dit ça, il devait être 8 heures du matin, on est allé directement de l’après-fête à la piscine publique, moi je suis allé chercher mon haut-parleur, et on a eu dix Dødser qui ont sauté. C’était le premier championnat du monde !
En après-fête ? Championnat du monde ?
Oui, l’après-fête, on appelle ça une « Nachspiel », c’est très Norvégien. Les boîtes ferment entre deux et trois heures du matin donc on fait toujours des après-fêtes. Pendant l’été c’est très populaire d’aller dans les bains publics pour passer la fin de soirée. Donc on a fait notre premier championnat du monde là-bas ! On a appelé ça championnat du monde parce qu’un de nos potes est adopté du Guatemala. On avait l’alibi international (rires).
Et aujourd’hui vous êtes diffusés à la télévision…
Oui, alors que ça a commencé comme une blague. Mais l’année d’après, en 2008, il y avait 600 personnes, celle d’après 1500 personnes, et après trois ans c’était plein, avec 3 000 personnes, ça a été montré à la télé nationale… Et c’est vite devenu trop grand, on a tous des boulots à côté, donc on s’est dit qu’il fallait vraiment des professionnels pour le gérer. Et là tout d’un coup il y a aussi les réseaux sociaux, il y a un clip qui est sorti qui a fait beaucoup de vues et ça a vraiment commencé. Une journaliste australienne nous a appelé, le New-York Times en a parlé, ESPN a commencé à montrer ce qu’on faisait. Et en 2018, on avait des millions de personnes qui regardait une partie du championnat du monde. Là on a commencé à refléter internationalement, encore à un autre niveau. Aujourd’hui on a quinze événements de qualification pour le championnat du monde, en Norvège, Suède, Finlande et Danemark, et petit à petit on va ouvrir des sites dans de nouveaux pays.
Vous imaginiez en 2008 que ça prendrait une telle ampleur ?
Non pas du tout, nous on est une bande de copains, on a fait ça pour rigoler ! C’est vraiment devenu un monstre (rires). Là on a des employés, l’année prochaine on travaille sur une télé-série, on a pleins de projets.
A l’origine le Dods était une manière de draguer les filles paraît-il…
Oui à l’origine c’était pour épater les nanas, ce qu’on dit toujours c’est que : « Si tu participes aux championnats du monde, tu as la garantie de faire l’amour avec une femme dans la nuit. »
Pourquoi on appelle cela le Døds ?
Døds c’est la mort. Ça vient du fait qu’on touche la mort des yeux en quelques sortes. Il faut se recroqueviller le plus tard possible, donc c’est vraiment toi versus l’eau. Tu vois vraiment la mort dans les yeux.
Le fait d’atterrir de manière horizontale, au lieu de verticale, ça permet d’explorer un nouvel univers de figures qui n’existent pas ?
Exactement, c’est totalement différent, tu ne dois pas atterrir sur les pieds, tu ne dois pas plonger, donc tu peux faire des pirouettes en étant allongé par exemple, ça donne des possibilités complètement différentes.
Quelles sont les figures qui se démarquent ?
Il y a plein de figures, et chaque Dødser a une signature. Il y a le « pointeur », tu fais un Døds, tu te mets un peu sur le côté et tu pointes vers le public, qui avant était composé de femmes, et puis tu fais un clin d’oeil. C’est comme un petit pistolet ! Il y a aussi le « Døds Invert », où tu Døds vers le ciel et tu te fermes avec le dos à la place du ventre. Il y a le « Upside Down Jesus », qui est un salto avant où tu « freeze » en l’air, et tu fais le Døds. Tu as aussi le X traditionnel, où tu te mets en X. Il doit y avoir une cinquantaine de sauts différents.
Qui sont les Dødser ?
Ce dont on s’est rendu compte, c’est que le Dods est un sport qui cumule tous les sports extrêmes, on a des gens qui viennent du parachute, on a des snowboardeurs, des skateurs, on a de tout. Pas mal de gens dans les milieux extrêmes font ça maintenant. C’est un sport fédérateur d’autres sports extrêmes.
Quel est l’aspect le plus important du Døds ?
Il y en a plusieurs, il y a le X factor, la dangerosité. Mais le Døds c’est un peu comme quand le skate a commencé, il faut avoir le « flair », le style, il fallait posséder l’air. Pour faire une double pirouette, il faut posséder l’air, car l’allure compte énormément. On voit les yeux, on voit les mains etc. On le voit bien durant les slow motions. Le style et l’allure sont des éléments encore très importants pour le Døds. Ça ne va pas devenir un sport acrobatique, ça va devenir un sport de style, comme le snowboard et le skate. Le flow c’est ce qu’il y a de plus important.
Quelles sont les évolutions récentes dans le Døds ?
Chaque année je suis là, et chaque année il y a quelque chose de neuf, j’ai vu de tout (rires). On a aussi beaucoup ouvert le recrutement à l’international, et avec tous ces nouveaux Dødser qui viennent de l’étranger, il y a des nouvelles touches, des nouvelles manières de faire les choses. Ça continue de grandir.
Quelles sont les règles au juste ?
Il y a ce qu’on appelle le classic Døds, on n’a pas le droit de faire des pirouettes ou tourner, il faut faire des petits trucs mais rester dans le niveau classique. Après il y a le freestyle et là on peut tout faire. Les hauteurs du championnat sont entre 10 et 14 mètres. Après il y a le « twenty meters club » qui est déjà établi, le record aujourd’hui est à 27,9 mètres. Là c’est les mêmes hauteurs qu’au Red Bull Cliff Diving. Le truc c’est qu’on atterrit en Døds alors que les autres atterrissent sur les pieds. D’ailleurs on adore voir ces gens qui se prennent très au sérieux et qui se trouvent tellement cool, nous on rigole parce qu’on fait des Døds de 25 mètres et on s’en fout totalement, c’est une génération comme le skate et le snow.
Vous pensez pouvoir aller encore plus haut ?
Non parce qu’après tu ne fais plus que toucher la mort des yeux, tu meurs pour de vrai. De 10 à 12 mètres, on est à 70 km/h quand même. Dès qu’on passe à 20 mètre c’est du sérieux, si on se plante on peut vraiment mourir.
C’est cet esprit que vous voulez mettre en avant ?
Si tu veux faire du saut de gymnastique, tu fais autre chose (rires). Nous on appelle ça de la culture parce qu’en Norvège si on appelle ça du sport on ne peut pas picoler pendant qu’on le regarde, et on fait ça parce qu’on veut rester proche de la fête. Il ne faut pas oublier que le Døds c’est pour avoir des nanas à la base. D’ailleurs la fête après le championnat est aussi grande que la compète, on l’appelle l’AfterDøds, c’est une des meilleures fêtes de l’année à Oslo. Tout le monde reconnaît une certaine forme d’esprit dans ce sport, qui est très facile à reconnaître, c’est assez rigolo.
Quels sont les ingrédients d’un bon AfterDøds ?
L’année dernière on avait complètement transformé la plus grande galerie d’Oslo, on avait pris des nageuses synchronisées. On avait donc huit nanas de 80 ans qui faisaient de la synchro dans un bassin à l’extérieur, où il y avait une grosse soirée. Il y avait trois des plus grands artistes de Norvège, il y avait des concerts etc. C’était la folie. Et ce n’est que le début.
C’est dans le quartier Frogner d’Oslo qu’est née la pratique du Dødsing dans les années 60. Le complexe de bains publics du Frognerbadet a été le terrain de jeu d’une bande de copains voulant simplement épater les filles. La méthode : exécuter le saut le plus dangereusement fou du haut de la plateforme de 10 mètre de Frognerbadet. La pratique devient courante en Norvège, mais elle se voit particulièrement popularisée en 1972, lorsque le guitariste du groupe Raga Rockers Erling Bruno Hovden s’y met avec son compère Morten Flateng, toujours actif aujourd’hui. Dans les années 80 et 90, le Dødsing explose littéralement en Norvège et devient un monument national. Hélas, la pratique retombe dans l’ombre jusqu’en 2008, époque à laquelle Paul Rigault et sa bande de potes décident que le Døds doit continuer d’exister. Depuis, le plongeon de la mort est devenu l’un des sports les plus créatifs et inspirants qui soit. Let’s Rock !