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Sous l’influence Russe, la gymnastique rythmique perd sa dimension artistique

Nous sommes partis à la découverte de la gymnastique rythmique et avons rencontré Kseniya Moustafaeva, quintuple championne de France de gymnastique rythmique sportive (de 2013 à 2017) et finaliste des derniers Jeux Olympiques. Arrivée en France à l’âge de 6 ans, cette Biélorusse de naissance connait bien les ressorts de ce sport à l’accent russe, qui peine à se séparer de ses origines.


La gymnastique ryhtmique est quelque chose d’artistique pour moi, et quand le code évolue dans le sens du cirque ça lui nuit un peu. […] Maintenant c’est la course aux points : On a énormément de figures à réaliser et il n’y a presque plus de relation musique-mouvement

« La gymnastique rythmique est toujours très affiliée aux pays de l’est. Peut-être parce que beaucoup d’entraîneurs sont partis dans d’autres pays pour avoir une meilleure vie. Ça se voit dans les compétitions. Si on ne parle pas russe on est exclue, tout le monde parle russe. C’est un monde russe. » explique Kseniya Moustafaeva, la championne Française de la discipline.

La gymnastique rythmique est née d’un mix de différentes méthodes de gymnastique pensées au XIXe siècle en Europe. Mais c’est bien dans les salles de sport de l’ex-URSS des années 40 qu’elle se sera popularisée. Utilisée dans le cadre du développement d’un certain « esprit soviétique » par le biais de la pratique sportive, la gymnastique rythmique aura été marquée au fer rouge par l’empreinte de la Russie. Une emprise qui subsiste aujourd’hui encore. 




GYMNASTIQUE RYTHMIQUE ET DIMENSION ARTISTIQUE

Sans surprise, la GR est largement dominée par les pays de l’est dans les compétitions. Et pour cause, elle est aussi réglementée en fonction des gymnastes russes, par le biais du code de pointage. Ce dernier détermine la notation durant les compétitions de GR et évolue à chaque Olympiade. Il est la pierre angulaire de l’évolution de la discipline vers une vision plus artistique ou au contraire plus sportive. Pour Kseniya Moustafaeva :

« C’est un peu officieux mais tout le monde sait que le code est fait par rapport aux Russes. Les meilleures russes ont un certain profil, et on fait le code de pointage par rapport à elles. Par exemple les deux jumelles qui sont les meilleures du monde en ce moment, elles sont meilleures à l’engin qu’en difficulté corporelle et en relation musique-mouvement. Et après Rio, forcément, ils ont fait le code de pointage par rapport à ça. »

La course aux points

La GR fut un temps affiliée à la gymnastique artistique et à l’école du corps, très attachée à la notion d’esthétisme. Mais le code de pointage actuel ne renvoie plus à cette origine. Il s’attache aujourd’hui davantage à la complexité des lancés d’engins qu’à tout le reste. Kseniya Moustafaeva est loin d’être ravie de ce constat, qu’elle évoque en ces termes :

« La GR est quelque chose d’artistique pour moi, et quand le code évolue dans le sens du cirque ça lui nuit un peu. Le code va de plus en plus dans le sens où on a beaucoup moins de danse et beaucoup plus de risques avec l’engin. On perd la dimension artistique, maintenant c’est la course aux points. On a énormément de figures à réaliser et il n’y a presque plus de relation musique-mouvement. C’est devenu un peu du cirque. Mais malheureusement c’est les gens en haut qui décident. » 

PARENTHÈSE COURTSIDE


Kseniya Moustafaeva aux JO de Rio en 2016

« Même si j’invente une figure originale, ça ne va pas rapporter de points »

Avec l’évolution de ce code, c’est donc toute la discipline qui change de visage. Autrefois les gymnastes se démarquaient par leur style, leur originalité ou leur créativité. Les gymnastes de 2020 se cantonnent à exécuter le plus de figures possible, et les plus difficiles. Ne laissant dès lors que peu de place à la singularité artistique. Kseniya Moustafaeva a bien remarqué cela :

« A l’époque il y avait plus de gymnastes qui avaient leur style. Avec le code de pointage actuel tout le monde fait la même chose pour avoir plus de points. C’est juste lancer, rattraper, lancer, rattraper etc. Cette dimension artistique qui permettait aux gymnastes d’avoir leur style a disparu. Ce que j’aimais beaucoup dans la GR c’est que je pouvais transmettre quelque chose par la musique dans mon enchaînement. Mais aujourd’hui je ne peux presque plus le faire parce que sinon je n’ai pas de points. J’essaie quand-même de garder mon style, mais c’est difficile. Il y a très peu de gymnastes qui arrivent encore à avoir leur style, il faut faire un peu comme tout le monde… Même si j’invente une figure originale ça ne va pas rapporter de points, donc ça ne sert plus à grand chose malheureusement. »




FÉMINITÉ EXACERBÉE

Mais l’influence Russe ne s’arrête pas à la détermination du code de pointage. Elle s’étend également à une certaine image du corps de la femme, une image idéalisée qui soulève de nombreuses questions. Lorsque l’on parle des conditions imposées aux gymnastes de GR, la notion de féminité exacerbée revient fréquemment. Et prend tout son sens.

« C’est un gros problème. On nous demande toujours d’être mince, maigre même. C’est comme dans le mannequinat, parce qu’au-delà de la dimension sportive, c’est d’abord un sport esthétique. On nous demande d’être parfaite. Mais ce n’est pas le corps de femme qui est mis en valeur, c’est celui de petite fille. Quand les filles commencent à avoir des formes on leur dit que ce n’est pas bien, on leur demande de maigrir. Il faut rester petite fille, et ça je ne comprends pas trop. Il commence à y avoir des gymnastes avec des formes mais elles sont beaucoup critiquées. C’est encore dans les mentalités de la GR qu’il ne faut pas en avoir. Beaucoup de filles ont des problèmes à cause de ça, c’est très difficile psychologiquement. je l’ai vécu aussi, et je sais ce que c’est. Si on n’a pas cette dimension physique qui convient aux juges, on n’aura jamais de médailles ou de bons résultats. Ça va avec la performance, personnellement je pense qu’il faut que ça change. » Pour être belle, c’est bien connu, il faut souffrir et les gymnastes ne sont pas en reste de ce côté-là non plus. 

« On travaille avec cette douleur »

Kseniya Moustafaeva nous aura rappelé de nombreuses fois la difficulté de ce sport qui demande d’innombrables heures de travail – 35h de pratique hebdomadaire. Les gymnastes de GR entretiennent de fait une relation bien particulière à la douleur, partie intégrante de leurs entraînements. Une vision quelque peu dépassée selon Kseniya Moustafaeva.

« C’est aussi un problème ça, on ne nous apprend pas à nous écouter. Encore maintenant, quand j’ai une douleur je ne vais pas m’arrêter parce que j’ai mal, même si je sais que j’ai une déchirure importante. Je vais travailler avec cette douleur et je vais peut-être être arrêtée cinq mois après parce que j’ai une grosse blessure. C’est difficile, on ne nous apprend pas à nous arrêter deux ou trois jours quand on est blessé, et reprendre quand la douleur est passée. On travaille avec cette douleur. Nous sommes très résistantes à la douleur, mais pas dans le bon sens. Ça nous porte préjudice. »

Encore très ancrée dans une vision Russe du sport, de l’esthétisme et de l’effort, la gymnastique rythmique sportive aurait beaucoup à gagner si elle s’ouvrait davantage au reste du monde. Notamment aux hommes, qui ne sont que très peu à la pratiquer. 



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