Véritable symbole des Ultras, les fumigènes et autres engins pyrotechniques sont depuis longtemps décriés par les autorités. Luttant contre la répression, les groupes de supporters n’ont cependant jamais cessé de les utiliser pour sublimer les matchs, à tel point qu’ils ont réussi à faire évoluer les mentalités. Courtside revient sur la place des fumis dans la culture des stades.
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Il est 21h. Acclamés par la foule, vingt deux joueurs entrent sur le terrain. Comme par magie, virages et visages s’illuminent, des pétards explosent et les tifos s’exposent. L’ambiance bon enfant prend une forme plus guerrière. Impressionnés par les artifices, l’équipe visiteuse semble tendue. Face à elle, les hôtes transforment cette tension en source de force et de détermination. Ils devront se hisser à la hauteur de leurs supporters et remporter le match. Ce scénario se répète chaque semaine dans bon nombre de stades, dans tous les championnats à travers le monde. Il fait le bonheur des supporters, des joueurs, et des téléspectateurs, grâce aux réalisateurs et diffuseurs télé, qui captent là des images formidables. Pourtant, depuis des années, l’usage de fumigènes, feux de Bengale ou autres engins pyrotechniques est devenu un sujet pour le moins explosif.
Les hautes instances du football mondial comme les diverses formes de gouvernement n’ont jamais vu l’utilisation du fumigène d’un bon œil. À tort ou à raison, elles ont tout simplement essayé de le bannir des stades à grand renfort de lois et réglementations dont le point commun sont la sécurité des personnes présentes en tribune et la lutte contre le hooliganisme.
Ces décisions sont guidées par l’un des plus grands amalgames que le sport connaisse : la confusion entre mouvements ultras et hooligans. Les autorités, souhaitant lutter contre ces derniers, ont ainsi mis les Ultras dans le même panier et mènent depuis une chasse à la pyrotechnie dans les stades. À l’instar de la culture Ultra, les fumigènes ont fait leur apparition dans les stades italiens, il y a près de 70 ans.
Nous avons rencontré Sébastien Louis, historien chercheur associé au CRIX de l’Université Paris-Nanterre et auteur de l’excellent livre, Ultras les autres protagonistes du football (édition Mare et Martin). Pour lui, « les fumigènes sont quelque chose d’important, car c’est le symbole de la culture Ultra. Tout le monde les voit, ils incarnent la passion. Et puis c’est un instrument qui est utilisé depuis le tout début de cette mouvance Ultra dans les années 70 en Italie. Car dans la péninsule, les tifosi jusqu’au-boutiste apportent des nouveautés, des banderoles aux noms originaux, des tambours, des symboles agressifs. Comme le disait, Christian Bromberger “le football est une métaphore de la guerre”. D’ailleurs, cela se retrouve dans les noms des groupes, ainsi que dans leur organisation qui a un côté militaire. Les Ultras jouent là-dessus, ils sont bien évidemment conscients de la symbolique et de l’outrance de leur propos. »
PAS DE FUMIS SANS FEU
En France, c’est évidemment du côté de Marseille qu’il faut regarder pour trouver les premières traces de fumigènes. Une arrivée qui se fait peu ou prou en même temps qu’est créé le premier groupe ultra de France, le Commando Ultra 84 (créé en… 1984).
Très rapidement, la flamme prend dans de nombreux stades en France. Les engins pyrotechniques se développent alors un peu partout, en Allemagne, en Belgique ou aux Pays-Bas, a contrario de l’Espagne et surtout de l’Angleterre. Une vieille légende du Vélodrome raconte qu’à l’époque de Bernard Tapie, durant les matchs, il y avait autant de fumigènes qui étaient craqués que de clopes. La régalade sans limite durera quelques années dans les stades français, mais un premier couperet s’apprête à tomber. Le 28 août 1993, un PSG-Caen des plus lambda marquera un tournant pour l’utilisation de fumigènes dans les stades. Ce jour-là, durant un quart d’heure, une véritable bataille rangée entre les membres du Kop of Boulogne et des CRS a lieu. Une dizaine de ces derniers se retrouvent à l’hôpital, dont un pour blessure grave au visage. Le tout étant filmé, les Ultras passent alors pour des sauvages violents. Il n’en faudra pas plus pour que les pouvoirs publics interviennent. À coup de grands sabots et sans trop chercher à comprendre une mouvance trop underground pour plaire, la ministre des Sports de l’époque, Michèle Alliot-Marie, pond une loi homonyme dans laquelle est créé une sanction qui deviendra la norme : l’interdiction de stade. Censée endiguer le phénomène du hooliganisme dans les stades français, cette loi va surtout être le point de départ d’un système répressif qui va se développer d’année en année.
FUMIS GÊNENT
À défaut de pouvoir interdire tous les Ultras des stades de foot, la Ligue du Football Pro (LFP) comprend vite qu’il est possible de détecter les ‘’éléments perturbateurs’’ en traquant les fumigènes. Alors que les spectacles en tribunes deviennent de plus en plus sophistiqués et impressionnants, la répression guette. Au fil des saisons, les interdictions de stades et les amendes pour cause d’usage d’engins pyrotechniques se multiplient, et ce même dans les divisions inférieures. Ainsi en 2017, alors que le Racing Club de Strasbourg Alsace était en Ligue 2, le club avait dû payer à plusieurs reprises des dizaines de milliers d’euros d’amendes à cause de fumis en tribune. Impuissants face à ce phénomène, les clubs passent donc à la caisse de façon récurrente, ce qui renforcent la « haine des ultras ».
Une situation qui pousse les Ultras de France comme des autres pays à braver les interdits pour continuer à animer les stades et soutenir leur club comme ils en ont le secret. Les sanctions sont importantes et il n’est ainsi pas rare de voir des tribunes complètement vidées lors de certains matchs. La faute à des huis clos partiels qui ne bénéficient ni au football, ni aux clubs. Les seuls qui pensent sortir gagnants de cette bataille sont les autorités, qui tentent tant bien que mal de garder la face. Mais, au-delà même des Ultras, l’ensemble des adorateurs de ce sport s’émerveillent devant les spectacles en tribune qu’offrent les fumigènes, créant ainsi un fossé entre les instances du football et les supporters.
Alors qu’elle mène une bataille intense pour empêcher les fumigènes dans les stades, la LFP est loin d’être la plus répressive. Ainsi, si en Europe de l’Est, en Italie, aux Pays-Bas, en France ou encore en Allemagne, les craquages de fumigènes sont plus que courant, dans d’autres pays, la situation est plus complexe. « En Espagne, la répression contre les Ultras est très forte depuis de nombreuses années et les moyens déployés par les autorités sont nombreux, donc il y a très peu de fumigènes. En Angleterre, la culture du supportérisme est différente. Voire même carrément unique, avec une culture propre aux fans anglais. Ils n’utilisent généralement pas les fumigènes à l’intérieur des stades, mais n’hésitent pas à en allumer à l’extérieur, on l’a encore vu récemment avec les célébrations du titre de Liverpool. Mais là aussi, le mouvement Ultra a touché la Grande Bretagne et des Ultras utilisent des engins pyrotechniques comme c’est parfois le cas pour des groupes qui soutiennent le Celtic, les Rangers ou Crystal Palace », indique Sébastien Louis.
FUM’HYSTÉRIE
Au niveau des instances du football européen, la tolérance vis-à-vis de la pyrotechnie dans les stades est quasiment nulle. Beaucoup se rappellent ainsi de la finale d’Europa League en 2018 face à l’Atletico Madrid à Lyon. Les Ultras de l’Olympique de Marseille avaient craqué près d’une centaine de fumigènes. Plus d’un officiel en tribune, à côté d’un Jean-Michel Aulas dépité, avait frôlé la syncope. Résultat des courses : un coup d’envoi retardé par la fumée, l’une des meilleures ambiances ayant jamais accompagné une finale de Coupe d’Europe, et des images incroyables, qui vaudront au club marseillais des sanctions extrêmement dures. La victoire du paradoxe.
Ainsi, la commission de discipline de l’UEFA annonce deux mois plus tard « exclure l’Olympique de Marseille de sa participation à la prochaine compétition de l’UEFA pour laquelle il se qualifiera. » Une sanction finalement transformée en période probatoire de deux ans. Un sursis durant lequel la moindre infraction de supporter mènerait à une interdiction automatique du club à une participation pour les Coupes d’Europe dont l’UEFA est organisateur. En outre, l’OM a écopé d’une amende de 100 000 euros et de deux matchs à huis clos. Des sanctions relativement similaires de la part de l’UEFA ne sont pas rares. En 2019, on se souvient des virages Auteuil et Boulogne à huis clos face au Partizan Belgrade, faisant suite à l’utilisation de nombreux fumigènes lors de l’élimination du PSG face au Real Madrid quelques temps avant.
Le fumigène fait désormais partie de l’ADN des stades et de la mouvance Ultra. Son avenir est en train d’être réévalué pour rentrer dans la légalité. Ainsi, alors qu’au Danemark et en Allemagne, les Ultras ont le droit d’utiliser des fumigènes aux flammes ‘‘sans chaleur’’, en France, une mission parlementaire d’information sur « le régime des interdictions de stade et le supportérisme » a été lancée en juin 2020. Portée par les députés Sacha Houlié (LREM) et Marie-George Buffet (PCF), celle-ci pourrait aboutir à un projet de loi qui donnerait aux Ultras le droit de craquer leurs fumis en toute quiétude. Car si sur le terrain les joueurs se font la guerre, dans les tribunes il est grand temps de rallumer le calumet de la paix.
Durant la saison 2018-2019, les rapports entre les supporters et la LFP avaient été encore plus exécrables que les saisons précédentes, l’utilisation de fumigènes en tribune ayant été une nouvelle fois un point de tension extrême. Les sanctions financières prononcées par les autorités du football français avaient atteint cette saison là les 1,62 millions d’euros d’amendes pour les clubs de Ligue 1 et de Ligue 2. Sans grande surprise, au classement un peu spécial des clubs les plus sanctionnés, le podium est occupé par les supporters de Saint-Etienne, du PSG et de l’OM comme l’avait relevé le twittos Nielsen. Ainsi, 1016 des 2 242 engins pyrotechniques utilisés cette saison-là par les supporters 40 clubs des deux championnats professionnels français l’avaient été par les Ultras de ces 3 clubs.
Alan Bernigaud