En 2020, il n’y a pas que les arènes de 100 000 places qui ont le droit à un traitement artistique. Aux grands architectes du sport ayant façonné les stades les plus mythiques se succèdent aujourd’hui des artistes graphiques pour qui les petits terrains de sport des villes deviennent de véritables toiles, et surtout des lieux de vie sans nul commun.
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Il était temps que le sport et l’art se rejoignent !
Stéphane Opéra
De la Grèce antique à nos jours, les stades ont toujours pris une place singulière dans notre patrimoine architectural. Mais le XXIème siècle aura vu naître une nouvelle génération de terrains, où sport et art se côtoient dans l’anonymat du quotidien. Les grandes structures prises en photo par hélicoptère se voient aujourd’hui voler la vedette par de petits terrains originaux souvent situés en centre-ville, qui font le bonheur des sportifs, des passants comme des influenceurs. Les prestigieux architectes des plus grands stades du monde se voient rattrapés par des artistes urbains proches de la rue et de sa culture, pour qui le petit terrain de quartier a autant voire plus d’importance que le méga-stade. Ces derniers se chargent de redonner un attrait à ces lieux de vie communs, ces terrains des villes, ceux qui voient et font naître les passions, ceux sur lesquels les valeurs du sport se partagent et se dessinent, ceux sur lesquels il n’y a ni couleur de peau, ni classe sociale. Des terrains sur lesquels le sport et ses règles se réinventent en permanence et où se façonne le jeu des futurs stars du sport.
STREET CULTURE COMMUNE
Si les terrains de basket et autres skateparks incarnent parfaitement ce phénomène, c’est pour une bonne raison. Ces derniers ont en effet un rapport particulier avec d’autres pratiques venues directement de la rue, notamment celle du graffiti. Les graffeurs y ont toujours été confraternellement conviés, et même parfois acceptés par les municipalités. On a facilement en tête l’image d’un de ces endroits recouverts de graffitis, plus ou moins organisés, plus ou moins esthétiques. L’idée est aujourd’hui reprise de façon mieux organisée, visuellement plus cohérente et légale : les décorations sont plus axées « street art » que « graffiti vandal ». Mais le terrain de sport stylisé existait en fait déjà il y a 25 ans…
L’artiste graphiste Stéphane Opéra, qui est à l’origine du design du premier terrain de tennis rénové et décoré dans cet esprit (par Courtside à Clichy!), connaît bien ce lien de proximité : « Ce sont des lieux de rencontre, des lieux de passage. Tout ce qui est lié aux gens bouge, évolue, il y a des gens qui viennent laisser leur marque, un jour ils sont dans un endroit, le lendemain ils sont à un autre. Les gens laissent leur marque à gauche à droite, un peu comme les chiens finalement. C’est pour ça que que les skateparks sont souvent recouverts et qu’il y a des tags partout, la peinture c’est aussi un ciment social. C’est le miroir de l’empreinte populaire quelque part, donc c’est cool si on peut faire évoluer cette trace et rentrer dans quelque chose qui est peut-être un peu plus uni et pointu. »
C’est donc naturellement que des projets impliquant des communautés de sportifs et d’artistes ont vu le jour, permettant au passage de redonner un coup de jeune à la pratique du sport dans des lieux libres d’accès et mélangés. Le premier terrain du genre qui se sera fait connaître est le playground de Pigalle à Paris, imaginé par la marque éponyme : un terrain haut en couleur et très original, qui se réinvente de façon régulière. Lors d’une rencontre avec Morgan, un habitué des terrains de basket Parisien, ce dernier nous avait expliqué au sujet du terrain de Pigalle : « Il est assez beau… On a l’impression de jouer dans une chambre ! »
Si certains sont tentés d’appeler cela du street-art, d’autres ne partagent pas cet avis, à l’image de Stéphane Opéra. « Je parle de muralisme plus que de street-art, qui est un terme que je n’aime pas trop. Avec le street-art, tout de suite on peut voir la petite nana du cours d’art plastique qui va venir faire son pochoir ou la maman un peu bourgeoise bohème qui va aller faire des collages avec son fils le week-end sur la petite ceinture… Le street art ça a ouvert un peu la créativité, la passion de faire des trucs dans la rue à monsieur tout le monde, mais ce que je n’apprécie pas trop c’est qu’on ne prend pas trop en compte le niveau des réalisations, qui est finalement assez bas. Moi j’aime prendre la culture du graffiti, l’énergie de la rue, et la retranscrire dans un travail plus personnalisé, avec des visuels plus réfléchis et travaillés. »
Mais au delà du design et de l’esthétique graphique, d’autres facteur peuvent rendre ces terrains incomparables. Certains initiateurs de projet aiment par exemple en repenser les formes, pour s’adapter aux contraintes d’un lieu ou dans une pure logique esthétique. En Thailande, le projet Unusual Football a permis de construire des terrains de foot encastrés entre deux immeubles, avec des formes plus qu’étonnantes. Pour Alex Penfornis, photographe et architecte qui parcourt le monde pour photographier les plus beaux terrains de sport, et surtout les plus originaux : « II n’y a encore que trop peu de terrains stylisés à Paris. Et même, il n’y a pas de terrains originaux en terme de forme. Autre part dans le monde il existe des demi-terrains de basket, des terrains ronds, ce genre de choses. Ce serait cool d’avoir plus de choses comme ça à Paris et en France. » Pour Stéphane Opéra, « Je suis même étonné que ce type de projet ne se soit pas développé plus rapidement que ça, ça arrive seulement. »
LES RAISONS DE LA GALÈRE
Un élément est susceptible d’expliquer en partie la lenteur de l’arrivée de tels projets, la difficulté pour les acteurs artistiques de se faire apprécier à leur juste valeur auprès des organismes avec qui ils doivent traiter.
Stéphane Opéra nous explique : « Il était temps que le sport et l’art se rejoignent ! Aujourd’hui on fait de plus en plus confiance aux artistes, il y a des vrais budgets alloués. Après il y a les municipalités, les gestionnaires des territoires, l’environnement etc. Ces gens ont une certaine méthodologie, et derrière il y a de la politique… Ce ne sont pas des projets qu’il est possible de mettre entre toutes les mains, notamment d’artistes qui n’auraient pas d’expérience, de méthodologie, ou la bonne approche pour travailler avec ce genre d’acteurs. Avant de se lancer dans un projet d’envergure il faut éduquer les gens, il faut leur expliquer cette culture, comment elle a commencé, comment elle évolue, et comment elle s’adapte aux normes. Il y a tout un discours pour qu’on nous fasse confiance, qu’on nous laisse un peu les clés pour travailler, et quand ils jouent le jeu à la fin ils sont toujours très surpris, ils prennent une claque. »
Pour Alex Penfornis, « Aujourd’hui il y a des villes complètement nouvelles, j’ai fait beaucoup de terrains à Singapour, tout est clean, tout est neuf. Après si tu va sà New-York, à Brooklyn, ça peut être un peu crade, mais ça a du charme. A Paris il n’y a pas beaucoup de terrains, quelque uns sous les métros, Pigalle est connu, ça dépend des colories, des matériaux, mais on pourrait clairement faire plus. »
Si c’est en partie grâce à Instagram que les premiers terrains de sports inspirants tels qu’on les connaît se sont fait connaitre, il n’en reste pas moins que ces derniers bénéficient à tous les plus grands fans de sport, qui trouvent dans ces créations de formidables refuges au sein desquels les valeurs du sport et de l’art urbain ne font qu’un.
Jean Nitro