Objet de convoitise de tous les joueurs de rugby français, le Bouclier de Brennus est le plus ancien trophée de l’histoire de ce sport, qui récompense les équipes championnes de France de Rugby. Ce statut de doyen est toutefois loin de lui garantir une vie tranquille, bien au contraire. Le « Bout de Bois », comme il est parfois nommé, est aimé autant qu’il est martyrisé par ses détenteurs. Les utilisations détournées de ce trophée sont au fondement d’un rite sacré du monde de l’ovalie.
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Il a servi de planche de surf ou de bouclier Arverne pour transporter un joueur un peu fatigué. Il a souffert comme une « galette calzone ». On l’appelait l’enjoliveur.
Emile Ntamack
Créé en 1892 par le maître graveur Charles Brennus, dont il porte le nom, sur un dessin de Pierre de Coubertin, « lou Planchot » (en occitan) a acquis au fil des années une dimension mythique. Son ancienneté, sa taille et son poids (1m de haut et 75 cm de large pour un poids total de 22 kg) ont contribué à forger sa légende. Une légende qui s’appuie également sur le traitement original que lui réservent ses détenteurs, pas vraiment empreint de respect.
UN MARTYR
Si ce trophée est l’un des plus convoité du sport français, il est également le plus martyrisé. Bien loin du rapport solennel et cérémonieux attaché à certaines récompenses sportives traditionnelles, il s’est ainsi retrouvé dans d’innombrables situations originales, voire improbables. Son mythe est en fait associé à la créativité de ses détenteurs pour en trouver des utilisations dérivées. Il aura été traîné dans de nombreuses troisièmes mi-temps particulièrement arrosées et à des fins pour le moins étonnantes. Si certaines de ces anecdotes restent dans le secret des vestiaires, d’autres mésaventures connues par le Bouclier de Brennus font désormais parties de la légende du rugby français.
Transporté en hélicoptère au dessus du stade de France, oublié au fond d’une piscine pendant 2 jours, noyé dans le champagne, la bière, la mer et les jacuzzis. Même raffistolé à la mie de pain par les Toulousains, le Brennus est éternel.
La plus connue de ces anecdotes est très probablement celle racontée par l’ancien joueur du Rugby Club Toulonnais, Aubin Hueber. Alors que le club varois venait de remporter la finale du championnat de France 92 face à Biarritz, le demi de mêlée découvrait la folie et la ferveur des supporters du RCT : « Le dimanche matin, nous sommes rentrés à Toulon puis sommes montés à bord d’un bateau pour entrer dans le carré du port de Toulon. Toutes sortes d’embarcations nous escortaient, sirènes hurlantes (…) La ville était à feu et à sang. En fin de soirée, dans l’euphorie et la liesse générale, le Bouclier a fini dans la rade de Toulon. Tous les joueurs, comme un seul homme, ont plongé pour que le Brennus ne coule pas ». Un sauvetage mené à bien, fort heureusement pour le rugby français.
L’AMOUR VACHE
Qui aime bien châtie bien : Le Brennus reste irremplaçable pour tous les amoureux de l’ovalie. Un statut dont on prend conscience en écoutant les légendes du rugby français s’exprimer à son sujet. Un « symbole de gloire », « de domination, de grandeur et de conquête » aux yeux de Daniel Herrero, ancien troisième-ligne, un « objet de vénération » pour Pierre Rabadan, un « rêve suprême » pour Emile Ntamack, qui tente de mettre des mots sur la fascination suscitée par le trophée : « il est lourd, difficile à manier, majestueux, luisant. (…) Quand tu le gagnes, tu règnes sur l’hexagone ». Un Graal donc, pour beaucoup.
Pour les Ntamack, le Brennus est d’ailleurs une affaire de famille. Après Emile, six fois champion de France avec le Stade Toulousain entre 1994 et 2001, c’est Romain, son fils, qui l’a remporté en 2019 avec les Rouges et Noirs de Toulouse. Entre les deux générations, une même habitude, celle d’utiliser le Bouclier pour … Faire du surf. Emile raconte ainsi qu’au fil des victoires du Stade, le Bouclier « a souffert comme une galette calzone. On l’appelait l’enjoliveur. ». Des anecdotes que l’international français a raconté à son fils, et que ce dernier n’a visiblement pas oublié.
La plupart des ces anecdotes restent pourtant marquées du sceau du secret des vestiaires. Et pour cause, certaines d’entre elles pourraient créer le scandale. Les plus collets-montés ont ainsi pu s’émouvoir en constatant que le prestigieux trophée avait été utilisé comme plateau de bar à Castres, en 2013, ou en apprenant qu’il avait disparu, cette même année. Une situation qui n’inquiétait pas le moins du monde ses détenteurs, comme le raconte Laurent Travers, à l’époque entraîneur du club tarnais : « On savait qu’il ne pouvait pas être volé : il est assez lourd, ce n’est pas quelque chose que l’on peut mettre dans la poche ». Finalement, le « Bout de Bois » sera retrouvé … au fond de la piscine d’un joueur. Un séjour aquatique de 48h qui n’aura fort heureusement pas laissé trop de stigmates.
Brennus utilisé comme plateau de bar →
MIE DE PAIN ET BOUTS DE FICELLE
Les traces laissées par les détenteurs du Bouclier sont nombreuses, et plus variées les unes que les autres. Outre les chocs causés par ces traitements originaux, certains tentent ainsi d’apposer leur marque sur le précieux trophée, prouvant ainsi que le Brennus leur a appartenu, le temps d’une saison. Certains vont plus loin, notamment les joueurs du Stade Toulousain qui, en 2012, avaient trouvé le moyen d’insérer un autocollant derrière une plaque de cuivre. Sur cet autocollant, une inscription au feutre : « c’est le nôtre ». Un sticker resté en place la saison suivante, alors que le « Bout de Bois » était remporté par le Castres Olympique, l’un des principaux rivaux du Stade Toulousain.
Un marquage finalement supprimé en 2014, lors de la rénovation annuelle du trophée par un maître ébéniste. Une rénovation qui intervient chaque année afin de rendre au Bouclier un semblant de jeunesse, et de lui permettre d’endurer chaque année de nouveaux sévices. Ce travail, effectué par un professionnel, est vital et forcément plus efficace que le bricolage réalisé en 1995 par les joueurs Toulousains alors que le Bouclier s’était cassé suite à une chute. « Nous avons cherché de la colle à bois partout mais impossible d’en trouver », raconte l’ancien président du ST, René Bouscatel. « Avec les joueurs, nous avons mâchouillé de la mie de pain pour essayer de le recoller, nous avons aussi mis de la ficelle ! ».
Le Brennus a donc souffert autant qu’il a été source de joie et de créativité. S’il a vécu plus d’émotions fortes que n’importe quel autre trophée, il lui reste encore beaucoup de chose à vivre. On vous laisse imaginer de nouvelles utilisations dérivées de ce trophée !