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La cage de Jemmapes

Ce terrain du bord du canal St-Martin, véritable playground à la New-Yorkaise, est un lieu de pur basket avec son lot d’actions baroques et d’humiliations cinglantes. En son sein, la communion s’organise autour d’un seul mouvement : le streetball.


Au 144 quai de Jemmapes, se trouve une cage spéciale. Un ring de bitume au sein duquel règne une ambiance unique. Accolé à un skatepark, ce terrain de basket a ses codes, ses gestes, et ses anges gardiens. « Comme dans le film l’armée des 12 singes, on est une douzaine, appelés les “concierges” », raconte Florian, dit Flo Pesci sur le terrain. Il est le créateur de la page Facebook “Sons of Jemmapes”. Lui et sa bande d’anciens veillent sur ce playground étroit, fait de bitume et orné d’arceaux en forme de jante de vélo, bordé d’arbres et d’un grillage faisant pleinement partie du jeu.



Deux équipes de trois s’affrontent sur un demi-terrain tandis que les autres joueurs sont assis derrière le panier, ou alors dans le « coin fumeurs », à regarder les matchs intenses qui se déroulent sous leurs yeux. D’autres spectateurs remontent le canal et s’accrochent au grillage pour vivre la confrontation aux premières loges, le temps de quelques points. Les esprits s’échauffent au fur et à mesure que les chaussures crissent sur l’asphalte, deux vieux potes en viennent à s’écharper sec sur le score. Le public les chambre pour adoucir la situation. Flo lâche, hilare, « En plus ils sont grave potes dans la vie, ils s’appellent quasi tous les jours ! » Dans la Balti zone – autre surnom du terrain en référence à la série The Wire – l’ambiance est conviviale, tout le monde se connaît, se dit bonjour, mais une fois dans la raquette, seule la compétition importe. La culture du terrain, c’est la gagne, quitte à humilier ou pratiquer le trashtalk pour déconcentrer l’adversaire. Même le public s’y met. « Billy, il fait 1m95 avec sa nouvelle coupe ! » lâche Flo du bord du terrain pour chambrer un des joueurs. 

Ces codes-là, ce sont ceux du streetball, on les retrouve bien entendu en NBA, mais le street, lui, s’adapte aux caractéristiques du terrain. « Ici, le playground est plus petit, plus étroit qu’un terrain normal, donc le jeu y est beaucoup plus physique, il faut avoir de bon appuis pour ne pas se retrouver par terre », lâche Flo avant d’expliquer la principale caractéristique de la cage Jemmapes. « La partie du terrain qui est vers le canal est plus petite, donc quand le ballon touche le grillage le jeu ne s’arrête pas, c’est pour ça qu’on le surnomme la “ Royal Makak Arena ”, parce qu’il y a des gars qui font les singes et grimpent sur les clôtures pour choper ou détourner le ballon. En plus, quand le Macaque sourit, il montre les dents, ça résume bien l’esprit de compétition plutôt bon enfant qui règne ici. »

Avant la construction du skatepark et du playground, le lieu était un boulodrome délabré, servant plus de litières à nos amis canins que de réel terrain de pétanque. Tout a changé en 2004 et 2005 quand la mairie de Paris a tout rasé pour créer cet espace. Jemmapes est depuis devenu une institution pour les joueurs qui l’habitent. Mais au delà de l’aspect sportif, la Balti zone est avant tout un lieu de lien social, de transmission et même d’éducation. Une sorte de centre culturel tourné vers le basket, entretenu par la communion de plusieurs générations qui sont habités par la même passion.




TÉMOIGNAGE DE DEUX GÉNÉRATIONS


BNF est un jeune rappeur originaire de Grèce. Il débarque à Paris en 2015, la cage de Jemmapes sera sa cour d’école, là où il s’est construit.

Je suis arrivé en 2015 à Paris, avant j’habitais dans le 92. Il n’y avait pas beaucoup de terrains. Quand je suis arrivé dans le Xème à Paris, je suis venu avec ma balle. Tout le monde se salue, tout le monde se dit bonjour. Je suis là, je suis le nouveau, personne me connait mais ils viennent tous, “Salut mon gars, ça va ? Tu joues, t’as la gagne ?”. Ici on est tous piqué par le basket. Quand j’avais rien à faire pendant 8h, je venais là, je passais le temps. Je venais me défouler au lieu de faire n’importe quoi, de tourner dans le quartier. Dommage qu’on n’ait pas des petits bancs, c’est comme si la Mairie voulait juste qu’on passe, en mode «  tu viens 30 minutes et tu rentres chez toi ».

Dans 10 piges le terrain n’aura pas bougé. Il sera toujours pareil. Quand tu vois les prochaines générations, il y a un renouvellement. Le bonjour c’est important. On a tous un côté mentor avec les petits. On les envoie chercher de l’eau pour tout le monde au supermarché, c’est de l’éducation. Certains n’ont pas de grand frère, alors quand ils viennent ici, ils retrouvent cette autorité. On est vraiment dans l’apprentissage. On leur montre comment shooter, comment faire une passe etc. Je ne pourrais pas vivre dans un quartier où il n’y a pas un petit coin comme celui-là. En Grèce, on a cette culture de la place, de l’Agora, et ce qu’il se passe ici, c’est exactement ça, on se réunit autour d’une passion commune.

Il y a une culture qui se crée autour du basket, chacun ramène un bout de sa vie et ça crée cette diversité. C’est comme un centre culturel, les jeunes viennent ici l’aprèm au lieu de faire de la merde dans la rue. On apprend aux plus jeunes l’esprit de partage, on fait des barbecues, etc. On est tous dans le même esprit, dans un bon esprit.


Morj, 30 ans, fait partie des douze concierges, il est issu de la génération qui a vu le terrain se construire, un réel artisan de la fraternité qui transpire aujourd’hui de ce terrain déjà mythique.

Ça fait 10 ans, voire 11 ans que je viens ici. A la base c’était un terrain de pétanque, mais personne ne venait jouer, il servait juste aux chiens pour leurs besoins. Quand la Mairie l’a compris, ils ont construit le terrain de basket et le skatepark. J’avais 15 ans à l’époque, je passais devant et j’ai vu que le terrain était en construction, c’était en Juillet-Août 2004 ou 2005. C’est pendant cette période que j’ai appris le basket. Avant je n’étais pas du tout dedans. 

Le terrain est un peu petit, donc beaucoup de jeunes qui venaient ont migré sur d’autres terrains. On a trouvé un compromis pour ça. On coupe le terrain en deux, il y a une partie pour les petits et une pour les grands.

Je me rappelle d’un moment que je n’oublierai jamais. On jouait sur tout le terrain, le match était tellement intense, il y avait un truc dans l’air. On tourne la tête et là on voit 30 ou 40 personnes qui nous regardent. C’était beau à voir, sur les belles actions ils applaudissaient, il y avait des réactions, l’ambiance grandissait de minutes en minutes. C’était un dimanche en été, quand les berges sont réservées aux piétons. 

Dans 10 ans, je verrais bien ce terrain comme celui de Pigalle. Il est assez beau, on a l’impression de jouer dans une sorte de chambre. J’aimerais bien avoir un terrain plus beau, avec des paniers neufs, et la possibilité de s’asseoir sur les côtés. Avec ce genre de terrain Instagrammable, ça pourrait ramener du monde et donc des gens du milieu du basket. Et alors là, on pourra organiser des tournois amateurs etc. Le décor est déjà trop beau en soit, avec le canal, le grillage… 


https://www.facebook.com/SonsOfJemmapes/videos/374155909974021/

Si le terrain devait être représenté par un joueur de streetball mondialement connu, ce serait Philip Champion, plus connu sous le nom de Hot Sauce. Le streetballer s’est fait connaître grâce aux compilations And1 et ses enchaînements de moves plus improbables les uns que les autres. La « Chaude Sauce » a même fait l’honneur aux Jemmapiens de venir les voir sur leur terrain. « Hot Sauce, une grande légende du streetball, quand il est venu ici, c’était incroyable », se remémore Morj. En mai 2019, l’Américain était venu se dégourdir les jambes sur le bitume de la cage de Jemmapes. Un signe, car le joueur ainsi que les compilations ont profondément marqué le style de jeu affilié à ce terrain du 10ème arrondissement, comme le raconte BNF : « Hot Sauce, il avait des moves de ouf. A la base, notre terrain est touché par des gars comme ça. Les compils And1 et cette vibe là. Quand tu viens jouer ici, c’est le terrain qui va façonner ton style et le style il s’est fabriqué grâce à And1. »


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