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Free Party : le sport du Dimanche au Bois de Vincennes

Chaque week-end, le Bois de Vincennes se transforme en véritable terrain de jeu pour les amateurs d’un sport à part entière : la free party. Au détour des sous-bois se déploient des espaces éphémères de fête libre, où on vient danser du samedi après-midi jusqu’au dimanche matin. Nous sommes partis en excursion nocturne auprès de ces noctambules qui brûlent en une soirée autant de calories qu’en un marathon.



Après avoir eu vent des quelques free party organisées chaque week-end au coeur du Bois de Vincennes, nous avons décidé de prendre appareil photo et enregistreur pour partir à la rencontre des habitants nocturnes de la forêt, pour qui la danse et la musique sont un art de vivre. Notre point de chute, une soirée illégale sobrement nommée en hommage à ce cher Bob Sinclar, « Oulala l’enchaînement ! », et organisée par le collectif Les Patates Braves. Nous partons avec une question en tête : La teuf est-elle un sport ? Munis des précieuses coordonnées GPS de la soirée, dévoilées au dernier moment sur un groupe facebook privé, nous nous mettons en route vers le point de convergence. Arrivés à proximité, nous comprenons vite que le sous-bois bouillonne, il suffit en réalité d’aller s’y promener pour tomber sur des teufs sauvages en plein milieu de la forêt.

Samedi, 17h30, nous arrivons proche du point indiqué par le GPS. Nous croisons beaucoup de gens faisant des allers-retours, chargés de packs de bière, de caissons de basse, de caisses de matériel en tout genre, ou juste d’un sac à dos. Beaucoup sont là pour la même chose. Les gens qui courent ou font du vélo aux abords de l’emplacement ne semblent même plus impressionnés par ce petit manège qui se répète chaque week-end. La soirée n’a pas encore commencé, il faut encore installer tout le matériel, accrocher les lumières dans les arbres, tendre une bâche pour prévenir la pluie, penser orientation du sound-system, s’alimenter avant le début des festivités… 


PÂTES AUX CHAMPIGNONS


Il est 19h30, on entend au loin les sound-system s’éveiller. Après une petite galère de générateur électrique et quelques réglages du système son, la musique démarre, et les gens commencent à affluer. Beaucoup se connaissent, comme nous l’explique Sofiene, aka Shrek, croisé sur place « Ce soir, il y a tous les copains de notre quartier, Colombes, Bois-Colombes, la Garennes, Courbevoie, tous les copains sont venus. En général, c’est des gens qui s’unissent dans l’amour du son, tous ensemble, pour profiter d’un bon moment, en bonne communion, dans un bon état d’esprit, c’est tout. »


Nous tirons le portrait de Shrek en compagnie d’un magnifique scaraboïde et lui posons quelques questions.

La teuf, c’est du sport ?

Ouais, on perd quelques calories et on ne mange pas beaucoup. On les perd, mais on ne  les gagne pas.

Tu as un équipement particulier ?

J’ai des chaussures Caterpillar (rires). Pour bien marcher dans la boue.

Une préparation particulière ? Tu as mangé des pâtes ?

Des pâtes aux champignons ! 

C’est comment les lendemains de teuf ?

Environ 6 jours d’ITT pour moi.

Ta track du moment ? Shrek

Under Black Helmet, impulsive behaviour


Il est 20h30, il fait encore jour, nous allons faire un petit tour du côté des ingénieurs son. Là où les DJs sont de véritable coach pour les danseurs, laissant deviner les exercices à effectuer rien qu’en plaçant une track, les ingés son, eux, sont les stadiers du match. Ils veillent à ce que la rencontre se déroule bien, sans encombre et surtout sans problème technique. Ils devront être présents du début jusqu’à la fin, Aurélien, derrière sa console, nous explique sa technique de préparation pour avoir la forme : « Je me fais une bonne nuit de dix ou douze heures de sommeil, pour au moins me lever à midi si on va se coucher à 8 heures du mat’. La teuf c’est sportif, au-delà de la danse c’est surtout de l’endurance. Quand on fait 20h – 8h du mat, il faut assumer, et boire beaucoup. »

Ta track du moment ? (Aurélien, ingé son)

Francky Vincent – Alice ça glisse


PANTALON CARGO

Il est 21h30, la forêt s’assombrit, le volume du son augmente, la place se remplit encore. Mais au fait, qui organise la soirée ? L’un d’eux s’appelle Paul, dit Polo, aka Polette Runaski. Il est encore tôt mais on a déjà tous du mal à garder notre sérieux, l’ambiance est à la déconnade. Autour de nous les gens dansent déjà sans retenue. Polo a droit à son portrait sur une chaise de camping, c’est pas la glacière de Bielsa mais c’est déjà ça. 

C’est quoi la teuf pour toi ?

La teuf c’est pas juste un système son et un bar ! C’est un système son, un bar et des lights (rires) ! Pour être plus sérieux, c’est un moment de partage où les gens viennent pour le son. Quand les gens viennent pour le son, il y a beaucoup plus à partager, et quand c’est dans des lieux cools, c’est encore mieux.

Un équipement particulier ?

Là j’ai pris un pantalon parce que la semaine dernière je me suis fait bouffer par les moustiques. 

Le pantalon cargo c’est plus pratique ?

Ça fait un petit côté mec de la technique, parce que j’ai des clefs accrochées, mais c’est les clés de chez moi en vrai, donc c’est faux.

Ta track du moment ?

Forcément sur la compil Jerry horny, le label qu’on vient de créer, je dirais Bielfeld Murder Boys – On fire. 


22h, il commence à y avoir du monde, peut-être une centaine de personnes, l’ambiance est bonne, la musique aussi, les guirlandes électriques accrochées ça et là laissent peu à peu apparaître toute la force de leur luminescence. Derrière les platines, Dasha, aka AciDasha met l’ambiance avec une techno agréablement acide. C’est bien parti, les gens dansent, et certains d’entre eux ne s’arrêteront pas jusqu’au petit matin. Il est 23h, la nuit est désormais tombée, et le ciel restera clair toute la nuit. Nous allons retrouver Mathieu, dit Maté, autre organisateur de la soirée, avant qu’il ne passe derrière les platines pour remplacer Dasha. Pour lui, « La teuf c’est quelque chose d’un peu enfantin, de la musique, des copains, quelque chose d’assez simple. On aime aussi beaucoup jouer sur le côté scénographie, on veut s’amuser, et le Bois de Vincennes c’est parfait pour ça, ça bouge bien en ce moment, c’est un peu le Playground de l’été. » Maté nous partage également sa recette pour être en forme, « Il faut manger des légumes… et du gingembre pour se chauffer. »

Ta track du moment ?

La compil entière Capital risque Vol. 1 de notre label Jerry Horny


DISNEYLAND DE LA TEUF

Maté doit bientôt prendre les commandes des platines pour distiller une ghetto tech diaboliquement cool. Nous partons donc rencontrer Dasha, qui finit elle tout juste son set. La soirée continue en fond. Dasha est Biélorusse, elle habite à Paris depuis 16 ans et mixe pour la première fois en free party. « Je trouve ça génial, ça remplace les clubs. En plus il y a un bon public, très réceptif à la musique, c’est très important pour l’ambiance. Parfois il y a des soirées avec de la bonne musique mais les gens ne sont pas vraiment là pour la musique, et ça change complètement la soirée. » Dasha est une véritable vétéran de la teuf, et pour elle c’est même tout un art, mais un art sportif. « Tu dépenses beaucoup d’énergie en dansant en soirée, tu peux rester toute la nuit, tout le matin et le jour d’après, là ça devient du sport. Mais tout ça c’est aussi de l’art, je travaille pour des galeries et des musées et je vois bien que ça se rejoint. C’est un moyen de s’exprimer, mais sur un médium différent. »

Ragaillardis par la fraîcheur du soir, nous décidons de repartir à notre exploration des sous-bois et tentons de rallier les autres teufs qui se déroulent dans les environs. Au travers des chemins, nous croisons beaucoup de monde, avec cette impression d’être au village Disneyland de la teuf, le Pierre et Vacances du bordel organisé. Les lumières stroboscopiques brillent au loin au travers des feuillages et les basses résonnent de tous les côtés. 

La route continue au détour de petits chemins, nous tombons sur une autre fête. Ici le style musical est différent, un peu plus house, l’endroit est également bien rempli, l’ambiance est aussi bonne que sur notre premier camp. Malgré les booms du sound system, nous parvenons à échanger avec un petit groupe. « À une époque la teuf c’était mon seul sport, danser pendant 12 heures d’affilée. Tu dépenses toutes tes calories, il y a même des gens qui utilisent l’application pour compter les pas et les calorie dépensées, quand tu fais ça tu te rends compte qu’à la fin de la soirée t’as éliminé tout ton whisky coca. » Pour un autre, « Dans la teuf tu retrouves ce truc où tu vas essayer de te changer les idées, échapper à ta réalité. Tu te dépenses, tu te vides la tête. »


CARTON ROUGE

Il est maintenant un peu moins de 6h du matin, le Bois de Vincennes ne désemplit pas, le soleil se lève, les danseurs dansent, les Djs mixent, des promeneurs se promènent, les grenouilles coassent et les systèmes son crachent encore. Bientôt il va falloir arrêter la musique et remballer le matos. Comme souvent, et heureusement, beaucoup sont encore présents pour aider. La soirée des Patates Braves se sera déroulée sans heurts. On aura quand-même aperçu les policiers, arbitre de la rencontre, mettre un petit coup de taser à un vagabond qui passait par là, carton rouge. On aura entendu ces messieurs de la maréchaussée nous dire « on s’en fout de la drogue, on cherche ce mec ! » Tout est bien qui finit bien, ou presque. Si la teuf n’est pas un sport, il faut reconnaître que c’est quand-même sportif. 


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