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Interview de Jeanne Morel, danseuse dans les étoiles.

Pourquoi danser dans une salle quand on peut danser en haut d’une montagne, d’un volcan, sous l’océan, ou même en apesanteur ? Pour l’artiste multidisciplinaire Jeanne Morel, la réponse coule de source.

QUI EST JEANNE MOREL ?

Jeanne Morel est danseuse en milieux extrêmes et diplômée de philosophie, membre de l’UNESCO depuis juin 2021. Avec son associé l’artiste Paul Marlier, elle évolue en montagne, sur les volcans, ou au coeur de l’océan. Mais c’est depuis 2016, qu’elle danse en apesanteur, dans un avion piloté par notre Thomas Pesquet national. Et ce n’est pas uniquement pour la beauté du geste, puisqu’il y a derrière ce projet une véritable expérience scientifique. L’objectif : comprendre et analyser l’adaptabilité d’un corps en exercice dans un milieu dénué de gravité. Outre ce fantastique projet crée de toutes pièces avec son associé Paul Marlier et le CNRS, Jeanne Morel s’est aussi fait connaître par le grand public lors du premier confinement, avec des vidéos de danse enregistrées depuis son balcon parisien, pour le plus grand plaisir de ses voisins. Avec Paul, le duo transforme les mouvements de Jeanne, enregistrés par diverses machines, en créations artistiques. Nous avons rencontré Jeanne quelques jours avant le départ de Thomas Pesquet pour l’ISS. Interview dans les étoiles.

Bonjour Jeanne, depuis 2016, vous dansez en apesanteur en partenariat avec l’Agence Spatiale Française et l’Agence Spatiale Européenne, c’est l’unique projet de ce genre dans le monde… Qu’est ce que vous faites là-haut ?

Nous lions l’art, la science, et les nouvelles technologies. Ce qui nous intéresse, nous et nos partenaires scientifiques, c’est de savoir comment réagit le corps dans cet environnement. Paul Marlier a pris l’initiative de couvrir mon corps de capteurs. Les scientifiques et lui analysent les données biométriques récupérées pour étudier ce qui se produit à ce moment-là dans le corps et le cerveau.

Et alors, que s’y passe-t-il ?

Quand on est en apesanteur, de nouvelles connexions se créent dans notre cerveau. C’est très différent de l’eau qui a une masse et que notre instinct reconnait. Nous avons tous été des êtres aquatiques dès notre premier habitat terrestre, le ventre de notre mère. En revanche, on ne connaît pas les réactions et le comportement d’un corps qui vole, qui n’a plus de poids. Danser en apesanteur amène aussi à une certaine transe, à « laisser s’envoler la gravité du monde »

Vous dansez également en montagne ou sous la mer. Quel est votre rapport à la nature ?

Danser en milieu naturel est une connexion directe à l’Espace et à nos émotions les plus profondes. Je viens de Franche-Comté, à la frontière Suisse, j’ai souvent évolué en montagne et ai très vite eu besoin d’aller me réfugier dans la forêt ou sur les sommets. J’ai vu, comme tout le monde, ce monde changer mais je n’ai pas étudié la science. Mes médiums artistiques étant la danse et les mots (ndlr hypokhâgne, études de philosophie) et ceux de Paul les nouvelles technologies, nous essayons de démontrer, par le biais de l’art, ce qu’est la fragilité. Celle de nos vies d’êtres humains et celle de la Nature qui nous entoure.

Vous formez un duo très complémentaire avec votre compagnon Paul Marlier. Vous dansez, et lui enregistre vos données biométriques pour en faire des œuvres d’art. Comment ça fonctionne ?

Peut-être que l’un des aboutissent de ce travail est de répondre à la question : Qu’est ce que la danse ? Ou plutôt comment donner à voir l’essence de nos corps ? Au-delà même du sport et de sa représentation, que produit cette danse dans le corps humain ? Dans tous les environnements où j’évolue, Paul capte mes données biométriques pour créer une partition à mi-chemin entre l’art et la science. C’est rendre visible le reste, matérialiser l’invisible. Pérenniser la danse et les émotions qu’elle crée en travaillant main dans la main avec le CNRS, on appelle cela de l’art-science.

Et ça se matérialise comment concrètement ?

Paul crée des tableaux, des installations immersives et des sculptures en pierre et réalité augmentée générées par le mouvement en micro gravité. C’est mettre en correspondance la fragilité d’une danse éphémère et le poids, pérenne, de la pierre. Une grande partie de notre travail porte sur la transmission, l’éducation et la création avec des personnes en situation de handicap. Parce-que la danse de ces personnes-ci est aussi belle et aussi noble que celle d’une personne dite « valide ».  Puis, en ce moment, nous créons une œuvre immersive sous dôme à la Cité des Sciences de Paris et à la Société des Arts Technologiques de Montréal afin de partager à tous, via la technologie, cette nécessaire légèreté de l’être. 

Mais alors pour vous, la danse se rapproche plus de l’art ou du sport ?

C’est un art, c’est sûr, parce que c’est une manière de voyager, d’accompagner, de prendre du recul sur le réel, de soigner même. Mais notre corps est l’outil qui nous permet cet art, et il faut l’entraîner. Pour réaliser de tels projets je fais, bien sur, extrêmement attention à mon hygiène de vie. Puis j’ai beaucoup dansé, classique, contemporain, flamenco, ou Butô, la danse japonaise. Mais la meilleure danse, c’est la nôtre, à tous, celle de l’improvisation. Celle du ballet de l’Univers. Je crois pertinemment que tout le monde « sait » danser. En tous cas, tout le monde à le droit de danser.

Durant le premier confinement, vous vous êtes mise à danser du haut de votre tout petit balcon parisien, situé au niveau des toits. Vous avez touché beaucoup de monde en postant ces vidéos très poétiques sur Instagram… Ça vous est venu comment ?

Tout d’abord il fallait tenir, faire taire l’angoisse et continuer de pratiquer ce qui est ma raison de vivre. Puis mon papa est médecin généraliste. Je voulais l’aider, à ma manière, donc j’ai commencé à lui envoyer des vidéos sur des musiques qu’il aime, pour l’accompagner. J’en ai tourné certaines sur mon balcon, et des voisins d’en face m’ont vue. Ils m’ont dit « si vous voulez-bien, dansez ce soir, à 20h ». La danse est un art instantané qui nous coupe quelques instant de la pesanteur du monde. Elle permet, peut-être, au danseur et au spectateur de s’évader, autant que possible… 

Vous avez fait des rencontres assez folles grâce à ça, racontez-nous…

Je me suis fait des amis et ces gens m’ont autant accompagnée que je n’ai essayé de le faire. J’ai rencontré mes voisins d’en face, un couple de personnes âgées qui n’allait pas bien au début du confinement. Et assez rapidement, ils se sont habillés comme pour aller au théâtre. Lui portait un nœud papillon, elle une jolie robe, et ils s’asseyaient sur leur petit banc en attendant « le spectacle ». C’était fort de prendre conscience qu’une simple danse peut doucement redonner le goût de vivre. Cela m’a énormément touchée. Un autre voisin faisait du piano, et on s’est mis à jouer ensemble, à 20 heures. Cela a créé de vrais moments de poésie dans le quartier. C’était un instant, heureusement éphémère, qui avait du sens à ce moment-là. Une petite parenthèse partagée, face à la gravité des choses.

Jeanne Morel en vidéo ↓


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