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Nous sommes allés dans le nord de la capitale faire un tour sur le mythique playground de Stalingrad, accompagnés de Sam Ray du compte Insta Paris.playground. Ce basketteur invétéré documente en photo la vie quotidienne des playgrounds parisiens et de ses habitués. Il nous a introduit auprès des locaux et nous en a dit plus sur son projet. Reportage en bonne compagnie.
Par Jean-Baptiste Chiara / Photo : Florian Thévenard
Sous la ligne 2 du métro parisien se trouve un spot connu de tous les ballers de la capitale, le playground de Stalingrad. Ou plutôt les playground de Stalingrad, puisqu’il y en a deux. Pour nous servir de guide aujourd’hui, nous avons contacté le compte Insta Paris.Playground et avons rencontré son créateur Sam Ray, qui documente le quotidien des terrains de basket parisiens. Rendez-vous est donné à 15h30.
Lorsque nous arrivons sur place, les plus jeunes s’entraînent sur le terrain du fond, les joueurs confirmés occupent le deuxième terrain où les 3 vs 3 s’enchaînent. C’est là que nous allons. Ça crie, ça saute, ça joue, ça se chambre, et le cadre ajoute encore à l’ambiance. Le terrain est entouré de grillages, on est sous le métro aérien, le quartier est submergé par les graffitis, on se croirait à Brooklyn.
Alors que nous étions encore en dehors de la cage, notre contact Sam arrive à vélo. On le suit à l’intérieur du “ring”. Ça se regarde, ça se calcule, on a alors ce petit battement au coeur en entrant. D’autres n’ayant pas osé se frayer une place au milieu des gaillards de Stalingrad regardent le jeu de l’extérieur. Sam fait des checks à la moitié des gens, nous aussi du coup. Ça y est, on fait partie du game.
Paris.Playground
Suivi par les ballers les plus connectés de Paris, le compte Paris.playground est une véritable fenêtre ouverte sur le quotidien des terrains de basket les plus cool de la capitale. Avec son appareil photo et sa bonne humeur, Sam est un vrai chroniqueur de la culture du basket street, mais surtout de ses acteurs de tous les jours.
« J’essaye d’avoir un œil journalistique, de connaître les histoires des gens, de documenter ça de manière fidèle. Je ne fais pas de gros shoot avec quatre caméras, des fumigènes, etc… Il n’y a rien de tout ça, c’est la rue, la street, et c’est vraiment ce que j’aime. Tu viens jouer, t’as ton flow, et moi je documente ça, la réalité d’aujourd’hui. Je mets la balle en avant dans mes photos parce que c’est l’élément qu’on partage. Que ce soit ici à Stalingrad, à New-York, à Harlem, à Rockers, c’est la balle qu’on partage. »
La force des réseaux
Grâce à la force des réseaux sociaux, chacun peut désormais se transformer en reporter et immortaliser la beauté du sport dans toute sa simplicité et sa force. D’autres comme Sam glorifient eux aussi la culture basket des années 2020 sur les réseaux, à l’image du compte Hoopsider ou de SonsofJemmapes, que nous étions allé rencontrer pour notre tout premier Playground Love. Cette nouvelle communauté de basketteurs connectés se constitue donc au jour le jour. Et si les réseaux sociaux sont leur nouveau tapis rouge, les médias historiques du sport pourraient bien avoir du souci à se faire.
Mais il ne suffit pas de se pointer sur un playground avec son appareil et sa bonne volonté pour se faire accepter par les athlètes de la street. Sam le sait bien : « Ça passe moins bien quand je prends des photos avant de jouer. Il faut montrer qu’on sait jouer, qu’on est là pour le jeu, et après prendre des photos en faisant comprendre qu’on fait ça pour la culture. Et puis jouer c’est la meilleure manière d’apprendre les histoires des uns et des autres, j’approche les gens à travers le basket. » Assez parlé, Sam est attendu sur le terrain pour la prochaine partie. Il enlève sa veste, son sac, son bonnet, pose son appareil photo. Pas d’échauffement, c’est parti.
New-York & trash talk
On retrouve Sam dans un autre état : « Si t’as eu une mauvaise journée, il n’y a rien de mieux que de venir au playground. » Pour lui comme pour les autres ici, le basket c’est la vie. Sam a eu la chance de côtoyer les playgrounds New-Yorkais par le passé, et ça se voit tout de suite lorsqu’il troque son appareil contre la balle.
« Mon père vient de New-York, donc j’ai eu la chance de jouer là-bas. Au tout début je n’étais pas très fort mais j’allais quand-même jouer sur le playground. Je m’énervais quand je prenais des coups, j’avais la rage de perdre. Mais j’ai compris qu’il vaut mieux prendre les coups, ne rien dire, jouer son jeu jusqu’à la fin… et si tu gagnes, que tu sois blanc, noir, jaune, vert, n’importe quelle couleur, total respect mon gars. En plus tu vas rester sur le terrain. Tu gagnes, tu restes. Comme ici, c’est pareil. »
Véritablement animé par la culture de la balle, Sam puise dans toutes les émotions que le basket lui procure pour en tirer un enseignement positif. « Quand tu fais le bonhomme et que tu perds, il faut aussi savoir ravaler sa fierté. Tu reviens le lendemain, et là il y a ce respect qui s’installe, même si t’es pas le meilleur. Tu m’as fait mal mais je suis revenu gamer. » S’il a pu se faire martyriser par d’autres joueurs dans le passé, Sam aime lui aussi infliger des corrections avec la manière.
« Je ne suis pas très grand, donc j’essaie de jouer avec ma tête et pas avec mon corps. J’aime bien rentrer dans la tête des joueurs, je les travaille au mental. Je leur parle en anglais, je dis des conneries, je les regarde bizarrement… Ça marche bien avec les plus jeunes, moins avec les anciens. Là c’est plutôt eux qui te montrent comment faire (rires). » Entre deux questions, l’équipe de Sam se reforme, « on prend la next ? J’appelle Chris, il habite juste à côté gros ! » Nous laissons Sam organiser son équipe et retourner au jeu et partons à la rencontre d’autres locaux.
Témoignage de deux générations
Pitt est un ancien du terrain, il a 34 ans et vient jouer sur le playground de Stalingrad depuis 98. C’est ici qu’il a tout appris, il nous raconte.
« J’ai grandi ici avec mes potes. Et c’est surtout ici que j’ai appris à jouer au basket. L’identité de ce terrain c’est ce côté combatif, ici ça a toujours joué dur. Quand on jouait ici à l’époque on appelait ça la NBA, on était comme des animaux, il y avait des spectateurs tout autour… c’était la NBA. Il y a aussi un côté famille. Par exemple, les tibétains viennent d’arriver sur Paris, mais ils sont sur le terrain, tout le monde se mélange, ça parle, ça discute, ça joue… C’est ça la beauté de ce sport.
Le basket c’est plus que du sport, c’est une ligne de conduite. Ça fait partie de notre personnalité, de notre caractère, ce n’est pas pour rien qu’on dit « ball is life » . A travers la façon dont tu vas voir un mec jouer, tu peux deviner facilement son caractère dans la vie, sa personnalité. Donc « ball is life ».
Le basketball c’est aussi l’ambiance, le spectacle, le fou-rire, c’est chambrer, c’est le trash-talking. Ça peut pas aller sans ça. C’est comme si on ajoutait un peu d’épices pour que ce soit encore meilleur. Faut pas confondre mal parler à quelqu’un et le trash-talk. Le trash-talk ça reste toujours l’esprit de « je suis meilleur que toi ». Ça ne doit pas dépasser ce cadre-là. C’est de la provocation pour que l’autre te montre ce qu’il a dans le ventre. »
Wing est né au Tibet et a grandi en Inde, il parle cinq langues et est tombé amoureux du playground de Stalingrad quand il est arrivé en France il y a deux ans. C’est aussi là qu’il s’est intégré et s’est fait des potes.
« Quand je suis venu ici pour la première fois, je ne savais pas parler français mais j’avais une option pour communiquer avec les autres : le basket. J’utilisais quelques mots simples comme “passe” pour demander une passe, et même au-delà de ça on se comprend avec les autres joueurs grâce à ce qui se passe sur le moment. Il y a une vraie connexion qui existe dans le sport, il faut essayer de la comprendre, et c’est ce qu’il y a de beau dans le sport en général. Ça a été assez facile de communiquer avec les gens. Aujourd’hui je connais tout le monde ici.
J’habite à St Maur, à peut-être 20 km de Paris, c’est loin mais je viens encore, tout simplement parce que c’est mon terrain préféré. Tu rencontres des gens de plein de races différentes, différents types de personnes, différentes personnalités. Il y a des gens qui m’aident ici, ils sont vraiment super sympa, c’est pour ça que j’aime venir.
Dans le quartier il y a beaucoup de tibétains. Certains sont nés en France, et d’autres comme moi sont arrivés il y a deux ou trois ans. Il y a des gens qui n’aiment pas trop les étrangers, mais c’est plus les vieux. Ceux qui ont 18, 25, 30 ans, ils sont super cool. On a tous la même culture du basket, ils regardent la NBA, je regarde la NBA aussi… On se comprend.
Ce terrain ressemble vraiment aux playgrounds New-Yorkais qui sont dans la rue, avec les cages etc… Il y a aussi une super atmosphère, c’est un endroit de culture, mais c’est aussi un endroit de rencontres. Ici on se parle, on découvre d’autres personnes, d’autres styles, on échange nos Instagram, on joue ensemble… C’est bien plus que du basket, c’est toute une culture, c’est un endroit qui vit, c’est comme une famille. »